À partir de 1912, de nombreuses tribus locales se révoltent contre les protectorats français et espagnols au Maroc. De l’éphémère émirat de Moulay Ahmed el Hiba à la République du Rif d’Abdelkrim, la résistance s’organise sur le territoire marocain pour contester la domination étrangère.
De l’Anti-Atlas au Rif, de el-Hiba dans le sud à la figure d’Abdelkrim au nord, les sultans s’opposent à la colonisation.
Au coeur du Sous rebelle
Le 30 mars 1912, le traité de Fès est signé par le sultan alaouite Moulay Abdelhafid. Le Maroc passe sous protectorat français. Loin de faire l’unanimité en raison de la diversité des populations locales, cette signature provoque des désordres. Dans la région du Sous, au sud du Maroc, un certain Moulay Ahmed el Hiba mobilise plusieurs tribus locales afin de résister aux autorités françaises. Soutenu par de nombreux caïds locaux, Moulay Ahmed el Hiba se fait proclamer sultan dans la ville de Tiznit. Le nouveau sultan du Sous appelle les différentes tribus au jihad pour résister à la mainmise des autorités françaises sur l’économie. La dimension religieuse est fondamentale. “La société marocaine d’alors est profondément religieuse et l’intrusion coloniale est vécue comme un cataclysme. Quand el-Hiba mobilise les croyances eschatologiques, beaucoup de croyants y adhèrent. Ils perçoivent un déséquilibre des forces, une intrusion des chrétiens qui prennent le pouvoir sur une société qui a été régie par une autorité musulmane depuis des siècles.”
Après la prise de Marrakech en septembre 1912, le mouvement hibiste doit cependant reculer face à la répression française dirigée par le maréchal Lyautey. En 1916, Moulay Ahmed el Hiba se réfugie dans un petit village de l’Anti-Atlas, à Kerdous. En 1919, il meurt, probablement de la grippe espagnole. Son frère, Merebbi Rebbo, lui succède après son élection par la majorité des tribus. Sa politique est la même : maintenir allumé le flambeau de la résistance sans avancer dans les plaines.
Le Rif et l’armée espagnole
La résistance des tribus marocaines gagne également le Rif, région du nord du pays sous protectorat espagnol.
Le chef de file du mouvement, Abdelkrim el-Khattabi, est pourtant issu d’une famille de notables modérément hostiles à la présence espagnole. “Son père est un cadi, c’est-à-dire un juge musulman il a très bien compris ce qu’il pouvait tirer de l’Espagne. Il envoie ses fils à Melilla, un petit préside espagnol au nord du Maroc tandis qu’un autre est envoyé à Madrid dans une école d’ingénieurs.” Là, les frères el-Khattabi se familiarisent avec la culture espagnole. “Abdelkrim voit l’Espagne comme une chance pour les Marocains d’entrer de plain-pied dans la modernité. Il est nommé à son tour cadi et donne des cours d’arabe et de berbère aux officiers espagnols. Il collabore aussi à un petit journal local de Melilla. Au tout début, rien ne permettait de voir Abdelkrim comme le futur ennemi irréductible des Espagnols.”
En juillet 1921, Abdelkrim se fait pourtant connaître lors de la bataille d’Anoual qui met en déroute l’armée espagnole. Il proclame quelques mois plus tard la République du Rif. Plus organisée que la résistance dans le sud, les tribus rifaines emploient le plus souvent la tactique de la guérilla. Abdelkrim et ses soutiens usent d’un armement moderne pour repousser l’armée espagnole des montagnes. En 1925, la guerre du Rif prend une tournure internationale. Une coalition franco-espagnole, dirigée par Philippe Pétain, est chargée de réprimer la résistance rifaine. Face aux bombardiers et gaz chimiques, Abdelkrim capitule et s’exile sur l’île de la Réunion.
Défaite et mémoire marocaine
Le mouvement hibiste est finalement maté en 1934. Avec la montée en puissance de l’Allemagne nazie dans les années 1930, la France souhaite pacifier le sud du Maroc pour que ses troupes puissent être envoyées sur la frontière allemande. En l’espace d’un mois, la région du Sous est pacifiée. Merebbi Rebbo, dernière figure de la résistance dans le sud, se rend aux autorités espagnoles et s’exile dans le Sahara espagnol. Dans le récit national marocain, les résistances de Moulay Ahmed el Hiba et d’Abdelkrim sont repoussées aux confins de la mémoire.
C’est aux sultans alaouites – Mohammed V et Hassan II – que revient la victoire contre le colonialisme européen. “Le pouvoir marocain affirme la suprématie de l’autorité monarchique sur tout autre personnage dans l’histoire.”
